Asthme et Sportif de Haut Niveau

Alain Bernard

Nageur, double champion olympique

Louis Saha

Footballeur, et vice-champion du monde

Thomas Busser

Aviron, recordman du monde d’endurance sur ergomètre

Pr. Gilles Garcia

Physiologiste et Pneumologue à l’hôpital d’Antony, Président d’Asthme & Allergies

Pr. Camille Taillé

Pneumologue à l’hôpital Bichat à Paris, responsable du Centre Asthme Sévère

Pr. Louis-Jean Couderc

Ancien Chef de Service de pneumologie à l’hôpital Foch à Suresnes, Professeur des Universités Paris-Saclay

Mme Christèle Gautier

Ministère des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques, Chef du bureau “Elaboration des Politiques Publiques du Sport“ et Chef de projet Stratégie Nationale Sport Santé

Pourquoi la Gregory Pariente Foundation a-t-elle entrepris de réaliser ce projet

“Asthme et Sportif de Haut Niveau“

L’objectif a été de convaincre les adolescents asthmatiques que le sport est bénéfique sur tous les plans (physique, mental et social) pour eux à la condition d’être régulièrement suivi et d’avoir le traitement le plus adapté, pour obtenir le contrôle de leur asthme.

Trois sportifs de haut niveau, tous asthmatiques ont accepté de témoigner sur leurs parcours sportifs ainsi que sur la prise en charge de leur Asthme. Ils ont réussi des carrières exceptionnelles bien qu’étant asthmatiques. Ils incitent les jeunes à faire du sport et pour eux, la pire chose serait qu’ils n’en fassent pas.

Voici les phrases clés de nos champions pour vous en convaincre:

Alain Bernard, nageur, double champion olympique: "J’encourage, les jeunes, les gens, à pratiquer une activité physique régulière même s’ils sont gênés par la respiration en adaptant, dans ce cas, ses séances de sport ou d’activité physique".

Louis Saha, footballeur, vice-champion du monde: "En tant que sportif, c’est donner le maximum. Le sport, c’est un vrai médicament, une solution pour la jeunesse pour ceux qui veulent mieux vivre et se sentir heureux".

Thomas Busser, rameur, recordman du monde d’endurance en aviron sur ergomètre (en duo sportif): "Les clés de la réussite sont le suivi (voir régulièrement son pneumologue) et s’exprimer librement à une ou des personnes de confiance, son entraîneur, ses parents. C’est la régularité qui permet d’être bien dans sa peau et de faire presque tout ce que l’on veut".

Trois Pneumologues nous expliquent avec leurs mots forts en quoi le Sport est bénéfique à l’asthmatique sous certaines conditions qu’ils nous précisent. Voici les phrases clés de nos spécialistes pour vous en convaincre:

Pr. Gilles Garcia, physiologiste et Pneumologue à l’hôpital d’Anthony: "Il ne faut pas hésiter à s’exprimer, à dire “c’est bizarre, je respire mal“. S’il n’y a pas d’écoute, s’il n’y a pas de reconnaissance des symptômes, il y a un handicap qui va retentir de façon majeur sur le quotidien et également sur la carrière d’un sportif de haut niveau".

Pr. Louis-Jean Couderc, ancien Chef de service de pneumologie à l’hôpital Foch à Suresnes et Professeur des Universités Paris- Saclay: "La prise en charge personnalisée, ne peut pas avoir lieu si personne ne sait que tu es asthmatique, ou, si personne ne l’a reconnu. N’aillez pas peur de dire si vous êtes gênés pour respirer, vous serez heureux en faisant du sport, bien soigné".

Pr. Camille Taillé, pneumologue à l’hôpital Bichat et responsable du Centre Asthme Sévère: "Je voudrais dire aux jeunes asthmatiques: bougez“ parce que c’est bon pour votre Asthme, pour votre santé. Faites-vous plaisir, fixez-vous des objectifs, pas forcément d’être un champion. Si vous êtes limités par votre Asthme, il faut qu’on s’occupe de votre traitement. Faites-vous aider".

Mme Christèle Gautier, au Ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, chef du bureau “Elaboration des Politiques Publiques du Sport“ et chef de projet Stratégie Nationale Sport Santé et conseillère en Santé Publique au cabinet d’Agnès Firmin-Le Bodo, Ministre déléguée auprès du Ministre de la Santé et de la Prévention (depuis septembre 2022): “Il faut, à tout âge, combattre la sédentarité en installant une routine d’activité physique pour chaque jour grandir en bonne santé (santé physique, santé mentale, santé sociale) et ainsi améliorer sa qualité de vie dans le temps“.

Interview d’Alain Bernard et de Louis Saha et leurs échanges

GPFD: Merci de participer à ce projet que nous avons appelé “Asthme et Sportif de Haut Niveau“. Alain Bernard, vous êtes nageur, grand champion et asthmatique. Louis Saha, vous êtes footballeur, grand champion, et également asthmatique. Pouvez- vous compléter votre palmares?

Alain Bernard: En effet, j’ai été champion olympique en 2008. J’ai gagné deux autres médailles sur cette même olympiade : l’argent avec le relais 4x100 mètres, le bronze au 50 mètres et une autre médaille d’or, quatre ans plus tard, aux Jeux Olympiques de Londres, en 2012. Dans ce laps de temps, j’ai battu à cinq reprises des records du monde, que ce soit du 50 ou du 100 mètres dans un relais 4 x 50 mètres nage libre.

Donc une carrière assez étoffée mais tardive: je suis arrivé sur le tard et, on va sûrement y revenir car c’était peut-être lié à la pathologie qu’on m’a décelée à l’adolescence.

Louis Saha: J’ai eu la chance de jouer dans un grand club en Angleterre, où j’ai gagné quelques titres de Premier League et de League Cup. J’ai eu aussi la chance de soulever le trophée de la Champions League et de faire partie du groupe France en 2006, lors de la finale de la Coupe du Monde, (vice-champion du monde) mais aussi de l’Euro en 2004.

GPFD: Alain, vous souvenez-vous à quel âge a débuté votre asthme?

Alain Bernard: D’après mes souvenirs, c’était à l’adolescence. Je devais avoir entre 12 et 14 ans. Dans la piscine où je m’entraînais, il y avait une atmosphère mal recyclée et j’avais des difficultés à inspirer à fond.

Je n’avais aucune allergie. J’avais quand même fait un test allergène pour savoir si ce n’était pas lié au chlore. Ce n’était ni le chlore, ni le pollen, ni les poils de chat. J’ai fait tous les tests que l’on peut faire sur le bras.

Plus tard, on m’a diagnostiqué un asthme d’effort. J’avais une bronchite qui mettait du temps à passer. Au bout de deux ou trois semaines, on a eu l’idée de me faire passer un test un peu plus poussé que l’on appelle un test d’hyper réactivité à la méthacholine.

Mais c’est vrai que je n’ai pas forcément été bien pris en charge, bien orienté, à l’adolescence. Je sentais une oppression dans les poumons. Je ne pouvais pas inspirer à fond, ce qui me gênait énormément.

Quand on fait du sport avec beaucoup de cardio et qu’on cherche une fréquence ventilatoire élevée, on se sent forcément diminué par rapport aux coéquipiers, surtout à l’entraînement. Ce sont des entraînements assez longs et éprouvants.

GPFD: Alain, qui vous a diagnostiqué cet asthme d’effort?

Alain Bernard: C’est le médecin qui suivait notre structure de haut niveau. Avant, quand je ressentais ces symptômes, j’étais suivi par mon médecin de famille. On commence à être suivi plus minutieusement, je dirais, à partir du moment où l’on intègre un projet de haut niveau. Dans mon cas, c’était entre 15 et 16 ans. Pour lever le doute, le médecin m’a envoyé vers un pneumologue qui m’a examiné et fait passer des tests plus précis.

Il y a beaucoup de sensibilisation à faire dans ce domaine. Ce n’est pas qu’il ne faut pas faire confiance à son médecin généraliste, loin de là. Mais il ne faut pas hésiter à aller voir des spécialistes. Quand on a mal aux articulations, on va voir un rhumatologue, quand on a du mal à respirer, on va voir un pneumologue. C’est quelque chose qui peut sembler évident quand on est plus mature, plus expérimenté, mais à cet âge-là, même les familles, les parents, nos responsables légaux, peuvent être un peu désemparés.

C’est pourquoi, grâce à votre action, on essaye de sensibiliser les gens à consulter des spécialistes. Il est vrai que je prenais beaucoup sur moi, je l’exprimais mal. Je disais à mon entraîneur: “j’ai du mal à respirer“. Il me répondait de sortir pendant 10 à 15 minutes. Un quart d’heure après, je retournais dans l’eau, parfois les symptômes passaient, parfois ils étaient persistants. Ils duraient parfois plusieurs entraînements d’affilée, d’autres fois je n’avais aucune gêne. J’avais du mal à baisser les bras, à accepter de me dire: “j’ai quelque chose de bizarre, il faut que j’en parle“, alors que je devais vraiment en parler. Je voulais garder ça pour moi, peut- être par fierté, par orgueil. Il faut vraiment extérioriser ce que l’on ressent à son éducateur, à son entraîneur, à ses parents et, bien sûr, à son médecin.

GPFD: Preniez-vous un traitement occasionnel ou aviez-vous un traitement de fond?

Alain Bernard: J’avais un traitement de fond et un traitement d’appoint que je prenais avant chaque entraînement. Il fallait obtenir une autorisation thérapeutique parce que les produits étaient listés comme dopants. C’est ce qui m’a le plus dérangé : prendre un produit qui n’était pas autorisé et être potentiellement soupçonné de dopage.

Un médecin a eu beaucoup de pédagogie, il m’a dit: “Alain, de toute façon, tu ne peux pas respirer mieux que la normale. Si tu as une capacité respiratoire à 80 ou 85%, dans le meilleur des cas, tu atteindras 90 ou 95%, voire 100%. Tu n’atteindras jamais 110 ou 120% donc ce n’est pas du dopage“.

À partir du moment où il m’a expliqué les choses de cette façon très pédagogique, je l’ai bien intégré et bien vécu, même s’il est vrai que je me cachais encore pour prendre les bouffées de mon aérosol. Je le faisais plutôt dans le vestiaire que derrière le plot devant tout le monde. Avec les années, ça s’est un peu démocratisé. Il y avait moins cette honte ou cette culpabilité.

Si on fait un entraînement sans boire, on ne va pas remplacer l’eau de son corps, on va être extrêmement fatigué. Je voyais les choses de la même manière : si je fais un entraînement sans prendre ni mon traitement de fond ni mon traitement d’appoint, cela va me desservir.

Une des évolutions importantes du sport, aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus besoin d’autorisation à usage thérapeutique pour ce genre de traitement.

GPFD: Louis, vous aussi, vous n’aviez de l’asthme qu’à l’effort?

Louis Saha: Exactement. Je n’avais aucun problème au quotidien, mais quand je commençais à sprinter, surtout pas échauffé, je sentais une vraie brûlure au niveau des poumons, une vraie gêne. C’était assez problématique.

Alain Bernard: Il m’est arrivé de me dire: “Je ne fais que de l’asthme d’effort, j’ai de la chance“. Dans le sport, on apprend aussi à canaliser ses émotions, son stress. J’ai l’impression que le sport nous permet d’être plus armé par rapport à la maladie. Tu en penses quoi, Louis ?

Louis Saha: C’est pareil. Le sport m’a aidé à me calmer, parce que j’étais obligé de me maîtriser. J’étais obligé, dans ma pratique sportive, de réagir. J’aimais tellement mon sport que je trouvais des solutions. On m’aurait dit de courir avec 20kg sur le dos, je l’aurais fait. Le sport était important pour moi donc, face à n’importe quelle contrainte, j’aurais trouvé une solution. Le sport a vraiment été un outil incroyable.

GPFD: Vous souvenez-vous du traitement que vous aviez? Était- ce un traitement occasionnel ou un traitement de fond ?

Louis Saha: C’était un traitement de fond à base de corticoïdes et de bronchodilatateurs. J’avais un asthme d’effort assez prononcé. J’ai longtemps joué comme en apnée, on va dire. J’étais constamment en train de chercher ma respiration. Malgré tout, j’ai réussi à rester calme et cet asthme m’a aussi aidé à optimiser mon jeu. Étant donné que j’avais moins de capacité respiratoire que les autres, j’étais beaucoup plus efficace à identifier les endroits où courir. Quand certains pouvaient s’éparpiller, je restais concentré et vigilant, je ne faisais pas n’importe quoi, j’étais efficace sur le terrain.

GPFD: Avez-vous eu des problèmes relationnels, des railleries, des difficultés avec vos copains? Ou au contraire, vous soutenaient-ils?

Louis Saha: J’ai connu un peu cette difficulté avec mon père qui était un marathonien d’une endurance incroyable. Il était un peu inquiet, car il savait, en tant que sportif, que l’aspect physique était très important et qu’il ne fallait jamais montrer de faiblesse car il y a des millions de jeunes licenciés.

Donc, c’est quelque chose que j’ai dû cacher, pas tant à cause de railleries que de la compétition normale. Il y a une vraie comparaison quand tu fais un VO2 max et que tu as 16/16,5 et que les autres sont à 18/19, voire 20/21. Je me rappelle d’un coach qui me disait: “Si tu n’arrives pas à faire 45 min de footing avec nous, tu ne peux pas être professionnel“. Je lui ai prouvé que je pouvais très bien faire, sans avoir un gros coffre.

Alain Bernard: Justement, ça nous donne une force, ces critiques. J’aime bien que tu prennes cet exemple. Combien nous ont dit: “Tu n’es pas capable de faire ça à cause de ton asthme“, et, au contraire, on se disait: “Ah ouais, j’en suis pas capable? Et bien, je vais te montrer!“.

Louis Saha: J’ai pu avoir ce rapport-là avec mes parents, au début. Mais à l’inverse, vers la fin de ma carrière, quand je passais des tests physiques et que les médecins voyaient mes résultats, ils me disaient: “Comment t’as fait pour réussir une telle carrière?“. J’en étais assez fier. Le sport m’a apporté la rigueur de trouver une routine, de m’imposer certains sacrifices qui sont, en fin de compte, une force.

L’asthme apporte une discipline qui va peut-être permettre, au bout du compte, de décupler vos entraînements.

GPFD: Avez-vous eu des contrôles problématiques? Vos médicaments ont-ils posé un soucis? Le fait d’absorber de la cortisone a-t-il été une complication?

Louis Saha: Non, il fallait juste réaliser un Whereabouts (procédure de localisation des athlètes), suivi de tests inopinés. C’était assez simple, il fallait préciser les médicaments qu’on prenait par rapport à l’asthme. J’ai jamais eu de problème.

Je suis très intéressé par l’expérience d’Alain et par la possibilité d’échanger avec lui. On a tous les deux, des parcours assez similaires, des entraînements extrêmement durs surtout quand il s’agit de trouver son second souffle. Justement, au niveau de la respiration, est-ce qu’une forme de coaching s’est mise en place pour toi? Il y a la partie médicale, avec les médicaments et le traitement, mais est-ce que tu as eu un entraînement pour apprendre à respirer, apprendre à mieux gérer le stress? Car l’asthme c’est aussi lié au stress...

Alain Bernard: Alors, non. On ne parlait pas trop ni de méditation ni de préparation mentale. Notre préparateur mental, à l’époque, c’était notre entraîneur. Petit à petit, la démarche s’est professionnalisée. On a eu des préparateurs physiques, des kinés, etc. Mais je n’ai pas eu de cours ou de conseils spécifiques sur la respiration. C’est venu, un peu, sur le tas.

GPFD: Et vous, Louis, avez-vous eu des cours de respiration?

Louis Saha: Quand j’avais 27 ou 28 ans, on a porté à ma connaissance une technique respiratoire (“Buteyko“) qui permettait, justement, de mieux gérer le stress.

Alain Bernard: Est-ce qu’on t’a aussi parlé, à l’époque, de cohérence cardiaque? C’était des exercices de respiration où l’on respire 4 secondes, on bloque 4 secondes la respiration, on souffle 4 secondes, on attend 4 secondes, etc.

Louis Saha: Oui, c’était ça ! C’était cette technique-là.

Alain Bernard: Nous, on appelait ça la cohérence cardiaque. Mais il y sans doute plusieurs noms. C’est marrant comme a eu les mêmes exercices avec des noms différents.

Louis Saha: Voilà, c’était ma question. Je pense que c’est toujours intéressant d’échanger là-dessus.

Alain Bernard: Oui, carrément !

Interview des Pr. Gilles Garcia, Pr. Camille Taillé, Pr. Louis-Jean Couderc, Thomas Busser, Mme Christèle Gautier et leurs échanges

GPFD: Professeur Gilles Garcia, vous êtes physiologiste et pneumologue à l’Hôpital d’Antony. Pouvez-vous nous expliquer la physiologie de la respiration, en passant du quotidien jusqu’à la physiologie quand on est un sportif de haut niveau?

Pr. Gilles Garcia: Le poumon sain est sur-construit, c’est-à-dire que quand quelqu’un de sain fait un effort, ce n’est jamais le poumon qui va limiter cet effort. Ce qui va limiter son effort, le plus souvent, c’est le système cardiovasculaire.

Le sportif de haut niveau va utiliser toutes les ressources physiques à sa disposition, le coeur et le poumon, et il saura aller au bout de son système cardio-vasculaire et au bout de son système pulmonaire.

Dans le cas d’un asthmatique de tous les jours, son poumon ne fonctionnera pas de la même façon, et son asthme va le gêner, plus ou moins grandement, dans ses activités quotidiennes.

Si c’est un enfant, ce sera dans la cours de récréation. Bizarrement, il dira qu’il n’aime pas courir alors qu’en fait il ne peut pas courir.

Si c’est un adulte, ce sera dans les gestes de la vie courante: monter les escaliers, marcher vite, parler en marchant, marcher en côte, etc.

Dans le cas d’un sportif de haut niveau, si son poumon n’est pas utilisé au maximum de ses capacités, ce sera limitant.

À partir du moment où il y a une situation pathologique, il y aura un certain degré de handicap qui sera plus ou moins important en fonction de ce qu’on demande à son poumon.

Il y a l’asthme standard, qui va affecter la vie quotidienne. Et il y a une pathologie, un peu particulière, qui est l’hyperréactivité bronchique liée à l’exercice. Ce n’est pas tout à fait de l’asthme, mais une pathologie des bronches liée à un exercice très important.

La physiologie respiratoire, quand on est assis comme nous autour d’une table, correspond à une ventilation de 6 ou 7 litres par min, avec un débit cardiaque qui tourne autour de 5 litres par min.

Un sportif de haut niveau, le skieur de fond, par exemple, qui parcourt 50km par -20°C et un air très sec, son débit cardiaque va monter à 25 ou 30 litres par min et sa ventilation respiratoire va monter à 160, 180, 200 litres par min.

Dans ce cas, les bronches sont exposées à une situation extra-normale et on peut voir apparaître une pathologie d’irritation bronchique liée à la pratique d’un sport extrêmement exigeant.

Ce n’est plus de l’asthme, c’est une maladie des bronches, une inflammation chronique liée à une exposition à de l’air froid et sec.

On a donc toute une gamme de pathologies qui va de l’asthme quotidien, chez une personne lambda, enfant ou adulte, qui peut retentir fortement sur une carrière sportive, laquelle est un véritable choix de vie. Quand un sportif se lance dans une carrière de haut niveau, il faut une détermination, un engagement du sportif, de toute sa famille, et l’asthme peut être une vraie catastrophe s’il n’est pas bien pris en charge.

Et puis, il y a des pathologies un peu particulières, qui renvoient à l’extra-physiologie du sportif de haut niveau.

S’il n’y a pas d’écoute, s’il n’y a pas de reconnaissance des symptômes, il y a un handicap qui va affecter, de façon majeure, le quotidien et la carrière d’un sportif de haut niveau.

GPFD: Pr. Camille Taillé, vous êtes pneumologue à l’Hôpital Bichat, et vous êtes responsable du Centre Asthme Sévère. Quels sont les bénéfices de l’activité physique et sportive pour un jeune ?

Pr. Camille Taillé: Les bénéfices sont énormes, à tous points de vue. On le voit d’abord chez l’asthmatique : une activité physique, quel que soit le niveau - pas besoin d’être champion olympique - permet d’aider à contrôler le souffle ce qui est important pour un asthmatique ayant des sensations respiratoires difficiles.

Cela permet de contrôler la maladie: quand on a un traitement de fond et, en plus, une activité physique, on sait que la maladie est mieux contrôlée, avec moins d’exacerbations, moins de poussées. Si l’on va plus loin, sur le plan expérimental, on sait qu’une activité physique diminue l’inflammation des bronches.

Donc, pour un asthmatique, c’est vraiment tout bénéfice d’avoir une activité physique, quelle qu’elle soit et quel que soit le niveau.

J’ajouterai que pour un adolescent, asthmatique ou non, l’activité physique permet d’aider au développement, elle permet de contrôler son poids à une période où, notamment pour les filles, la prise de poids peut être un problème. Avoir une activité physique permet de mieux contrôler tout cela. Au-delà, faire du sport, c’est aussi une manière de se socialiser, d’avoir des amis et de rester dans le groupe. Je pense que c’est particulièrement important de garder l’activité sportive pour ne pas se couper du groupe, notamment scolaire, quand on fait du sport à l’école.

Donc le bénéfice est énorme, sur tous les plans. Il faut garder une activité physique chez un asthmatique, au moment de l’adolescence. Et la pire des choses, serait d’interdire le sport à un adolescent.

GPFD: Pr. Louis-Jean Couderc, ancien Chef de service de pneumologie à l’Hôpital Foch, Professeur des Universités Paris-Saclay... Qu’est que l’asthme d’effort et quelle attitude avoir face à cet asthme ?

Pr. Louis-Jean Couderc: II doit y avoir, tout d’abord, une démarche diagnostique, pour être sûr qu’il s’agisse d’un asthme d’effort.

On parle beaucoup, en ce moment, de médecine personnalisée. Moi-même, j’ai toujours été pour la revalorisation et la personnalisation de l’examen clinique et de l’interrogatoire et je pense que l’asthme d’effort est un bon exemple.

Il faut d’abord traiter l’asthme comme on le ferait d’habitude. il faut vérifier, notamment, qu’entre les crises liées à l’effort, l’asthme soit effectivement contrôlé. La crise ne serait-elle pas survenue, même en dehors de l’effort, parce que l’asthme n’est pas suffisamment contrôlé?

Il faut donc vérifier la médecine de base et, une fois que c’est fait, se concentrer sur l’aspect “à l’effort“. Il faut préciser les circonstances et rechercher les facteurs extérieurs, qu’ils soient climatiques, de température ou d’hydrométrie, autant de paramètres importants.

Même chez un sujet sain, s’il doit courir par une température -25°C, on observera des phénomènes d’hyperréactivité bronchique.

Le but est d’aider le sujet en question. On ne donnera pas les mêmes conseils à quelqu’un qui fait des crises d’asthme lorsqu’il pratique un sport par grand froid qu’à un autre qui fait des crises lorsqu’il nage dans sa piscine.

Il faut donc voir si l’on peut jouer sur les facteurs de survenue, en donnant des conseils qui sont de bon sens : mettre une écharpe si vous sortez par grand froid, évitez de courir en plein midi, sans casquette, etc.

Un élément déclenchant que l’on retrouve souvent est le manque d’hydratation. Plus vous hyperventilez, plus l’air devient sec, et la plupart des gens ne s’hydratent pas assez, surtout quand il fait froid. L’impression de soif survient, en général, quand on a déjà une perte hydrique importante. Lorsqu’on a soif, il est déjà trop tard : les sportifs le savent très bien. Bien s’hydrater est important, aussi, pour les bronches.

En second lieu, il faut rappeler des conseils qui ne sont pas particuliers à l’asthmatique: il est important de s’échauffer, afin d’augmenter progressivement la ventilation et d’habituer son corps à l’effort. De même, à la fin de l’entraînement, il faut diminuer progressivement l’effort et éviter de s’arrêter net, d’un coup. Souvent, les sportifs oublient de la faire.

Enfin, au risque de se répéter, il faut interdire de fumer.

Sur le plan médicamenteux, quand on a fait le nécessaire pour éliminer les facteurs permanents, déclenchants, et les facteurs occasionnels de sport, on recommande la prise de bronchodilatateurs à action rapide 15 à 20 min avant l’effort.

Dans un monde idéal, un sujet asthmatique qui fait du sport devrait avoir, dans sa besace au vestiaire, un débitmètre de pointe, plus connu sous le nom de “Peak-Flow“, pour vérifier que tout aille bien avant l’effort.

Enfin, lorsque votre sport vous éloigne beaucoup du vestiaire, pour les skieurs de fond ou les marathoniens par exemple, il ne faut pas oublier d’emporter ces traitements avec soi pendant l’effort.

C’est une médecine assez personnalisée: une prise en charge personnalisée d’interrogatoire et de recherche de tous les facteurs.

GPFD: Gilles Garcia, qu’est-ce que le contrôle de l’asthme et en quoi est-ce essentiel?

Pr. Gilles Garcia: Le contrôle de l’asthme est l’objectif prioritaire d’une consultation d’asthme. L’objectif est que le patient n’ait aucun symptôme (ou le moins possible) et que cette absence de symptômes lui permette de faire ce qu’il veut, quand il le veut. Tout à l’heure, Louis-Jean Couderc parlait de l’adaptation et de la personnalisation de la médecine. C’est très important, en effet, car on va se trouver en face de patients qui vont nous demander des choses différentes.

Si l’on a un patient complètement sédentaire, il va nous demander d’être confortable dans sa vie de sédentaire.

Je raconte toujours l’histoire d’une cycliste qui m’explique: “Je fais un peu de vélo et je suis gênée à l’effort“. Au début, je me dis qu’elle fait la coulée verte, et qu’on va trouver une solution simple. Elle me répond: “Pas du tout. Je fais des sorties de 350 kilomètres avec 3000 mètres de dénivelé positif“. Et elle me dit qu’elle est gênée les 50 derniers kilomètres. Ma première réaction a été de lui conseiller de faire 50 kilomètres de moins, mais ce n’était pas sa demande. Sa demande était vraiment d’être confortable tout au long de son effort.

On va donc s’adapter à la demande du patient et voir ce qu’on peut lui proposer, en regard.

GPFD: Et qu’en est-il des signes de souffrance nocturne, les réveils nocturnes?

Pr Gilles Garcia: La souffrance nocturne, c’est toujours feu orange chez un patient asthmatique car, en général, cela arrive plus tard que la souffrance diurne. Le patient asthmatique peut avoir des soucis dans la journée parce qu’il est actif : il bouge, il monte les escaliers, et, dans ce contexte, il peut éprouver un certain nombre de symptômes. La nuit, le patient est allongé, au repos, et il doit normalement dormir sans ressentir les effets de l’asthme. À partir du moment où il y a de la souffrance ou des réveils nocturnes, cela signifie un degré d’inflammation très élevé. Et l’inflammation, c’est difficile à évaluer. Comme pour un iceberg, il y a, d’une part, les symptômes, c’est la partie visible à la surface de l’eau, et l’inflammation, c’est la partie immergée, invisible.

Quand il y a de la souffrance nocturne, il y a très probablement des symptômes le jour et un handicap fonctionnel, plus ou moins bien évalué par le patient, mais réel. Si des gens se réveillent la nuit, ils sont certainement gênés dans la journée pour les gestes de la vie courante: marcher vite, parler en marchant, monter les escaliers, etc.

On parlait tout à l’heure d’asthme d’effort : c’est vraiment de l’asthme qui survient au cours d’un effort. Monter les escaliers ou parler en marchant ne sont pas un effort, mais un geste de la vie quotidienne. On a tendance à appeler ça «asthme d’effort» alors que c’est, en réalité, une gêne liée à un asthme quotidien : cette gêne n’est pas acceptable et n’est, en aucun cas, un asthme d’effort.

GPFD: Et quand on dit à un jeune “Contrôle ton asthme“?

Pr Gilles Garcia: Ça dépend de ce que le patient sait de lui-même. Si on ne lui a rien appris, il est capable de dire que son asthme va bien alors que ce n’est pas le cas. C’est un long travail d’apprentissage et de reconnaissance des symptômes. On dit souvent aux gens de prendre tel traitement en cas de symptômes, mais cela sous-entend que la personne soit capable de reconnaître ses symptômes, de les identifier, de les quantifier, de savoir quoi faire, le cas échéant.

Très souvent, on a des patients qui prennent leur traitement d’urgence quand l’urgence est vraiment critique, alors qu’ils auraient dû le prendre avant.

Quantifier et évaluer ses symptômes, c’est très difficile pour le patient, cela demande un vrai travail d’apprentissage à mener avec le docteur ou par des séances d’éducation thérapeutique.

GPFD: Camille Taillé, pouvez-vous nous rappeler les autres symptomes de l’asthme

Pr.Camille Taillé: Il est important d’apporter ces précisions. On parle d’essoufflement, de gêne à l’effort, de réveils nocturnes, mais on oublie souvent la toux qui est un signe important de l’asthme, notamment à l’effort. Tousser à la fin d’un effort, ce n’est pas normal, c’est le marqueur d’un asthme mal contrôlé. Les sifflements sont aussi un marqueur de l’asthme et la sensation de douleur dans la poitrine, d’oppression thoracique, font aussi partie des symptômes.

Comme le dit Gilles Garcia, c’est important d’apprendre au patient à reconnaître ses symptômes car, d’un patient à l’autre, les symptômes ne sont pas tout à fait les mêmes, ou ne sont pas perçus de la même manière. Dans tous les cas, il faut les identifier comme des symptômes de la maladie qui doivent déclencher la prise du traitement.

GPFD: Des compléments à apporter, pour nos jeunes sportifs?

Pr. Gilles Garcia: Quand on interroge les asthmatiques, notamment ceux qui pratiquent le footing, beaucoup mentionnent une sorte d’échauffement bronchique - ce pourquoi il était très important de parler de l’échauffement. Certains patients, qui sont d’authentiques sportifs, expliquent qu’ils ne peuvent démarrer d’un coup leur effort. Ils sont obligés de commencer doucement pour permettre un échauffement bronchique. Les bronches doivent progressivement s’habituer à l’augmentation du volume courant, de la ventilation et, petit à petit, l’asthmatique va trouver un confort de respiration, il va trouver un rythme au bout de 10 à 15 min.

On voit qu’il y a tout un apprentissage par le patient de ses propres symptômes, lesquels sont très personnels, et cet apprentissage est long à mener.

GPFD: Utiliser vous les scores de contrôle de l’asthme ?

Pr. Gilles Garcia: En consultation, nous avons, en effet, un score de contrôle qu’on utilise. Ce sont des scores qui vont aider le médecin à évaluer le contrôle des symptômes, en mesurant l’essoufflement, les réveils nocturnes, le recours au traitement d’urgence, et la façon dont le patient perçoit son asthme. Ce score est intéressant car il couvre plusieurs domaines, avec des questions à la fois objectives et subjectives. Chaque asthmatique a sa propre histoire d’asthme, vis-à-vis de ses symptômes, de son traitement, de son médecin,de sa famille, donc c’est très compliqué d’avoir un score unique global.

Il y a aussi une confiance à mettre en place avec le patient, pour qu’il arrive à se libérer et à exprimer ce qu’il ressent...s’il va bien... ou non.

GPFD: Un point supplémentaire sur cette parole des jeunes?

Pr. Louis-Jean Couderc: La parole des jeunes, c’est difficile à obtenir. On parle beaucoup du stress des sportifs de haut niveau. Or, l’expression et la gestion du stress est un point capital et je pense qu’il faut aider les jeunes à exprimer leur stress, qu’il soit lié au sport ou non, car on a tendance à le sous-estimer.

GPFD: Un commentaire, Mme Christèle Gautier du Ministère des Sports de des Jeux Olympiques et paralympiques, avant que je ne vous présente?

Mme Christèle Gautier: Cela renvoie, également, à la relation asymétrique que les jeunes peuvent avoir vis-à-vis de leur entourage, et notamment de la figure du parent. Ce n’est pas forcément un défaut ou un déficit de confiance, ou même de capacité à s’exprimer. C’est simplement une relation qui, comme avec l’entraîneur, peut s’avérer asymétrique, car il y a le respect de l’autre qui conduit parfois à s’interdire d’évoquer un certain nombre de sujets. Et, dans le cas particulier des jeunes sportifs, cela peut conduire à des phénomènes de rétention de la parole où l’on s’interdit de dire les choses parce qu’on ne veut pas être empêché, et l’on ne veut pas décevoir non plus.

GPFD: Et quand on dit à un adolescent: “Prends en charge ta maladie, ton asthme“? On le dit ça.

Pr. Camille Taillé: Bien sûr, on le dit en tant qu’adulte parce qu’on pense que l’adolescent, parce qu’il est grand physiquement, est aussi capable de se prendre en charge. En réalité, la période de l’adolescence correspond, par définition, au passage de l’enfance à l’âge adulte. On passe d’une personne dépendante de ses parents ou de son entraîneur, à un adulte autonome capable de prendre en charge sa maladie. C’est un processus long qui dépend de chaque personnalité. Aussi, il ne faut pas être trop exigeant, en tant qu’adultes, avec un adolescent, il faut l’accompagner dans cette autonomisation progressive en rapport avec la maladie.

Que veut-dire concrètement: “Prendre sa maladie en main“? Ce sont, d’abord, des choses simples: savoir qu’on doit avoir son traitement, en permanence, avec soi et veiller à prendre sa trousse de secours, à l’école et au sport. Plus tard, ce peut être d’aller soi-même acheter le médicament à la pharmacie ou de prévenir ses parents lorsque il faut acheter de nouveaux médicaments. Enfin, il y a l’élément très important de savoir distinguer soi-même ses symptômes et de prendre, soi-même, la décision de recourir au médicament, passer de “Mes parents appliquent le plan d’action et me donnent les médicaments quand ils trouvent que je vais mal“ à “Je décide moi-même que je vais mal et je prends mon traitement bronchodilatateur ou mes corticoïdes“.

C’est cela qu’on appelle “Prendre sa maladie en main“ et il faut accepter, je pense, que cela prenne du temps : on dit que l’adolescence dure parfois jusqu’à 25 ans.

Il faut donc laisser le temps à l’adolescent et lui montrer aussi l’intérêt de se gérer seul. Cela montre qu’on est capable de partir en colonie ou en vacances tout seul, sans les parents, en stage de sport, etc. On est capable de faire ce qu’on a envie de faire et d’avoir une activité physique, même de très haut niveau si l’on veut.

L’intérêt est de montrer à l’adolescent à quoi cela sert de se prendre en charge, ce qui est motivant, je pense.

GPFD: Nous sommes encore, malheureusement, en période de SARS-CoV-2 (Covid 19). Quelles ont été les conséquences, pour nos adolescents, de cette période où l’activité physique a été largement réduite ?

Pr. Gilles Garcia: La période a été très dure pour tout le monde. Les adolescents ont, quant à eux, l’illusion du lien à travers des écrans et des appareils connectés, alors qu’en vérité, la période a été extrêmement difficile.

On a des jeunes sportifs asthmatiques qui ont repris leur vie normale, on a des sportifs de haut niveau qui, eux, ont connu des ruptures de la pratique sportive, pendant plus de dix-huit mois, aux conséquences dramatiques. Les effets sont différents au cas par cas, mais la période a pu être très traumatisante, en effet.

GPFD: Christèle Gautier, vous êtes Chef du Bureau de l’Élaboration des politiques publiques du sport, et vous êtes Chef de Projet, Stratégie Nationale “Sport Santé“ au Ministère des sports et des Jeux Olymiques et paralympiques, qu’est-ce que cela veut dire ?

Mme Christèle Gautier: Au sein du Bureau que j’ai l’honneur de coordonner, nous travaillons à la mobilisation de l’activité physique et sportive ou de l’engagement dans le sport au bénéfice d’un ensemble de politiques publiques autres que celle du sport. En d’autres termes, en quoi le sport peut aider à mieux vivre en société, à mieux s’émanciper, à mieux éduquer à être en meilleure santé, à davantage inclure, à favoriser l’attractivité des territoires, etc. Il s’agit donc du sport, et de l’engagement dans le sport, au service de l’intérêt général donc en relation avec l’ensemble des départements ministériels mobilisés.

Et à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, au sein de cet ensemble d’actions et de mesures visant l’héritage des Jeux, il y a énormément de sujets, il y a des objectifs à atteindre (et non pas de simples intentions), dans le domaine de l’éducation, de la santé notamment, et de l’inclusion qui sont parmi les priorités rappelées par la Ministre, Mme Oudéa-Castéra, désormais Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques.

Dans cet ensemble de mesures, je pilote, au sein du Ministère des Sports, la Stratégie Nationale “Sport Santé“. C’est un engagement pris par un certain nombre d’acteurs, notamment institutionnels, avec la participation de la société civile des collectivités et l’ensemble des partenaires. Un engagement donc, pour aider à opérer ce renversement vers le préventif en intégrant, notamment, dans le quotidien de chacun, à tout âge, une routine d’activité physique, pour amener chacun à appréhender de quelle manière, à travers cette activité physique à sportive, parfois adaptée, chaque jour, on grandit en bonne santé, on améliore sa qualité de vie dans le temps. Quand on est malade, ne pas pratiquer une activité physique régulière, parfois adaptée, pénalise les conditions de vie au quotidien.

Quand on est malade, et c’est pourquoi la responsabilité des médecins est toute particulière dans ce domaine, ne pas pratiquer une activité physique adaptée est une perte de chances. Aussi cette Stratégie Nationale “Sport Santé“ embrasse un certain nombre de sujets: c’est vraiment un fil rouge, aujourd’hui, pour le monde du sport et ses acteurs. C’est la performance de chacun au quotidien: à l’image de la performance de nos très grands champions qui nous font rêver, c’est conduire chacun - c’est pour cela que les témoignages sont très importants-, c’est conduire chacun à comprendre quelle va être sa performance à soi, sans culpabiliser personne, sans rien exiger d’impossible, et c’est notre responsabilité d’amener les gens à le faire et on pense bien sûr aux malades, à ceux qui souffrent d’asthme ou d’autres pathologies respiratoires.

C’est extrêmement important d’amener aussi ces messages-là à la population générale. Campagnes généralistes, messages ciblés, les deux doivent pouvoir se conjuguer. C’est pour cela qu’on travaille ensemble, que je vous remercie de l’audience que vous nous faîtes.

La pandémie d’obésité n’est pas née des deux années de SARS-CoV-2 (Covid-19). Elle a peut-être été mise en exergue par la période, comme l’importance d’avoir une activité physique, une santé physique. On parle beaucoup de la santé mentale, on commence tout juste à envisager cette santé physique, qui est, chez les jeunes, particulièrement importante à mettre, ou remettre, à l’honneur.

De nos jours, des adolescents, dès l’âge de 14 ans, développent du diabète de type 2. Plus de 50 % des jeunes ne respecte pas le minimum d’activité physique au quotidien, recommandé par l’OMS.

Il y a une mesure de généralisation, à l’école, de ce qu’on appelle les 30 minutes d’activité physique quotidienne. Le Président de la République a décidé de généraliser ce principe, à la rentrée de septembre 2022 pour l’ensemble des élèves des 36000 écoles du territoire national, en complément des activités d’éducation physique et sportive, avec l’objectif précis de réduire, d’une part, la sédentarité et l’inactivité physique, et d’autre part, d’éduquer: il s’agit, aujourd’hui, à la fois de pratiquer une activité sportive et de trouver, dans son quotidien, les conditions pour ne pas être sédentaire afin de lutter contre la “crise du canapé“, souvent accompagnée du soda et des écrans.

Il y a donc, d’une part, le combat contre l’inactivité et la sédentarité, et, d’autre part, l’engagement car la santé physique, c’est la santé mentale, c’est la santé sociale, l’engagement vers une activité sportive de son choix, dans un club ou autre, mais nous, on pense que dans un club, c’est bien, engagement qui va permettre au jeune de s’épanouir et, en s’épanouissant, de davantage respecter l’autre aussi.

J’ai été très frappée d’apprendre le nombre d’asthmatiques en France.

La Stratégie Nationale “Sport Santé“ dépasse largement l’action classique du Ministère des Sports. Elle nous permet de travailler avec le Ministère de la Santé et (désormais) de la Prévention, avec le Ministère du Travail, ainsi qu’avec l’ensemble des parties prenantes, aussi bien les acteurs de la prévention que ceux du soin, de l’éducation.

Je crois beaucoup aux interventions croisées: il faut que le message passe par différents canaux pour que, toujours, la personne qu’on a ciblée, identifiée, qu’on veut accompagner, puisse l’être effectivement.

Et il faut que ceux qui vivent avec cette pathologie, les jeunes, nos champions, puissent porter ces messages-là, car c’est eux qui vont le mieux atteindre la cible que l’on veut toucher.

Les éducateurs sportifs, les professeurs, les médecins, les acteurs du soin portent une connaissance essentielle à notre action, mais ceux qui vont le mieux convaincre, qui sont audibles dans leur témoignage, ce sont ceux qui souffrent et l’on peut espérer qu’ils souffrent moins grâce à l’activité physique et sportive.

GPFD: Thomas Busser, notre 3ème champion, à l’age de28 ans, a battu le record du monde d’endurance en aviron, par ergométrie, et ce, malgré son asthme. Pouvez-vous compléter?

Thomas Busser: J’ai commencé par pratiquer le tennis et la natation vers l’âge de 6 ou 7 ans. Comme mon père était dans un club d’aviron, j’ai été amené, naturellement, à prendre les rames. À partir de 14 ans, avec mon équipe, j’ai commencé à réaliser quelques performances: vice-champions de France, vainqueurs de la Coupe de France, d’une Coupe d’Europe en Italie, d’une Coupe du Monde (-23 ans). C’était du vrai sport de haut niveau. En 2013, il y a eu ce record du monde avec mon collègue, Romaric Cavard. Après quoi, j’ai voulu pratiquer d’autres sports. J’ai arrêté l’aviron et je me suis mis au triathlon l’été, au ski de fond l’hiver et je me suis aussi frotté à quelques passages d’alpinisme, au Mont Blanc et à quelques sommets des Alpes.

La clé de la réussite, c’est le suivi. Depuis le jour où, vers 6 ans, on a dépisté mon asthme, où ma mère, voyant mes difficultés à respirer, m’a amené chez le médecin du village, lequel a appelé un pneumologue qui, lui-même, m’a pris en charge tout de suite, jusqu’à l’ascension du Mont Blanc, c’est vraiment le suivi qui m’a permis de réaliser un tel parcours sportif.

Au sein de la Fédération Française d’Aviron, j’ai eu aussi la chance d’avoir un pneumologue qui prenait en charge les sportifs de haut niveau.

Si je n’avais pas été asthmatique, peut-être que je n’aurais pas cherché à réaliser toutes ces performances. Je me suis rendu compte que j’étais capable de faire des choses qu’il n’est pas donné à tout le monde de faire. “Allons plus loin“, me suis-je dit, pour voir de quoi je suis encore capable. J’ai fait de la randonnée en montagne par exemple, ce qui m’a permis de mieux me connaître, donc de mieux gérer mon asthme. Ça m’a permis de montrer aux gens autour de moi, notamment aux athlètes que j’avais en charge en tant qu’entraîneur dans mon club d’aviron, qu’on peut faire beaucoup de choses quand on est asthmatique.

GPFD: Étiez-vous allergique, également?

Thomas Busser: Oui, j’étais allergique. À l’âge de 6 ans, j’ai fait une crise grave: j’avais beaucoup de mal à inspirer, des sifflements à l’expiration. On s’est rendu compte que j’étais allergique aux plumes, aux poil de chat, de chien, aux acariens, pollens et graminées, etc.

Je rejoins ce qu’ont dit les professeurs: le sport de haut niveau permet de mieux repérer ces symptômes-là et de mieux réagir. En l’occurrence, je ne sors jamais sans mon inhalateur.

GPFD: Vous avez toujours eu un traitement de fond?

Thomas Busser: J’ai eu un traitement de fond lorsque j’étais jeune, des corticoïdes inhalés. Plus les années ont passé et moins, j’ai eu besoin de ce traitement de fond. Les crises s’espaçaient, jusqu’à disparaître à l’âge de 16 ou 17 ans. Le traitement de fond a duré un peu moins de 6 ans, jusqu’à mes 12 ans.

La difficulté du traitement de fond, à base de corticoïdes, c’est le soupçon de dopage. Cela requiert une autorisation à usage thérapeutique, toute une batterie de tests qui prouvent que l’on est asthmatique.

C’est un investissement de la part de l’entourage familial, du staff sportif, et de la part du sportif lui-même. À 13 ou 14 ans, on subit vite les moqueries quand on prend son bronchodilatateur: “Tiens, le voilà qui se dope“, “S’il rame plus vite, c’est parce qu’il est dopé“, etc.

L’autorisation thérapeutique permet aussi de prouver sa bonne foi. Ce n’est pas simple. À 13 ou 14 ans, les moqueries vont bon train, et cela peut être difficile à vivre.

Plus on est pris en charge tôt, et mieux ça va. Si l’entourage est, de plus, bienveillant, à l’écoute, cela facilite beaucoup les choses. De ce point de vue, la Fédération Française d’Aviron a été très impliquée et une vraie source de soutien.

GPFD: Quand vous étiez jeune, avez-vous eu ce genre de relations difficiles avec votre entourage ?

Thomas Busser: Avec l’entourage familial, non, ils étaient à l’écoute. Avec les copains, oui, au début: par la suite, c’est passé. Mais au début, on est vite mis à l’écart ou montré du doigt: “Regardez, c’est le dopé!“. En tous cas, c’est ainsi qu’on le perçoit à 12 ou 14 ans. On a tendance à peut-être exagérer ce qui ne sont que des boutades, mais à ce moment-là, à l’âge où on le vit, c’est difficile à gérer.

GPFD: À vous tous, je vais vous demander, en synthèse, quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux jeunes pour qu’ils performent malgré leur asthme ?

Alain Bernard: Ils ne doivent surtout pas se sentir diminués par l’asthme: tout le monde est différent, chacun a des forces, des faiblesses. Pour certains, la différence est visible, pour d’autres, non. Ce peut être un handicap, une taille, etc. Le plus important est de s’accepter soi-même et de se dire que, puisque d’autres y sont arrivés, je peux y arriver moi aussi. Il faut être rigoureux dans la prise de son traitement et dans l’écoute de ses symptômes: si je sens que, dans quelques minutes, je vais moins bien respirer, je m’arrange pour calmer le jeu, autant que possible.

Par l’expérience des entraînements répétés, on finit par connaître parfaitement son corps et savoir comment il réagit. À 16 ou 17 ans, c’est sûr que j’avais du mal à gérer cet aspect, je devais parfois m’arrêter brutalement. Petit à petit, j’ai senti un peu mieux les choses, j’ai mieux perçu mes efforts et j’ai pu maîtriser, au final, quelque chose qui était un vrai handicap, quelques années plus tôt et qui est devenu, avec le temps, une adaptation presque banale de mon effort: “Je sais que vais puiser, d’un point de vue cardio et souffle, donc j’essaye de me ménager et je sais que je ne serai pas contreproductif pour autant“.

J’encourage les jeunes à extérioriser ce qu’ils ressentent, à mettre des mots dessus, à en parler à leurs parents ou à des personnes de confiance, et à ne jamais se sentir comme des victimes. L’idée est d’encourager les gens à pratiquer un sport, pas forcément un marathon, un triathlon ou un “Iron Man“, mais une activité physique régulière même si l’on est gêné par sa respiration: adapter, dans ce cas, ses séances de sport ou d’activité physique. Si on a l’ambition, le temps et l’énergie d’en faire plus, tant mieux. Sinon, se fixer, au moins, un seuil minimal d’activité physique quotidienne.

Même si on ne se connaît pas personnellement avec Louis Saha, on se respecte énormément: on a, tous les deux, fait une carrière, vécu des émotions extraordinaires à travers le sport, tout en ayant cette pathologie commune.

Louis Saha: Le but, en tant que sportif, est de donner le maximum. J’ai vraiment cette fierté d’avoir travaillé et d’avoir gagné ce que je méritais, pas parce que c’était facile, mais parce que j’ai travaillé dur. Quand on parle de la jeunesse, le sport est une solution. Notre société a besoin de ce dynamisme, de ces sourires, de ces challenges, et rester toute la journée sur le canapé est une catastrophe.

Le sport est un vrai médicament, une solution, non seulement pour l’asthmatique mais aussi pour ceux qui veulent mieux vivre et se sentir heureux.

Thomas Busser: L’important, en effet, c’est que la parole soit libérée, et que l’adolescent ou le jeune puisse parler librement de son asthme à quelqu’un de confiance : ce peut être un entraîneur ou un éducateur, un professeur à l’école. À mon sens, c’est primordial. Une fois que le diagnostic de l’asthme est établi, l’important est vraiment le suivi, d’aller régulièrement chez le pneumologue, comme on va chez le cardiologue quand on est un sportif. C’est la régularité, le suivi, qui permettent d’être bien dans sa peau et de faire presque tout ce qu’on veut. Voilà ce qui est essentiel: le suivi et le fait de pouvoir s’exprimer librement.

Pr. Gilles Garcia: Il ne faut pas hésiter à s’exprimer, à dire “C’est bizarre, je respire mal“. Il faut vraiment libérer la parole. Si quelque chose ne va pas sur le plan respiratoire, il faut oser et pouvoir le dire.

Pr. Louis-Jean Couderc: Les choses vont mieux quand on est suivi : si on est suivi, c’est qu’on s’est exprimé. Le problème plus général est d’aider les jeunes à s’exprimer aujourd’hui, en l’occurrence, au plan respiratoire, mais cela peut couvrir d’autres domaines. La prise en charge ne peut pas avoir lieu si personne ne sait que tu es asthmatique, ou si personne ne l’a reconnu.

Avec les écrans, les jeunes parlent de moins en moins: au premier mot, tu reçois des moqueries en retour. Je ne suis pas certain que ces écrans libèrent la parole, au contraire. N’ayez pas peur de dire si vous êtes gênés pour respirer, vous serez heureux en faisant du sport, bien soignés.

Pr. Camille Taillé: Je voudrais redire aux jeunes asthmatiques “bougez!“, parce que c’est bon pour votre asthme, pour votre santé. Faites-vous plaisir, fixez-vous des objectifs. Rien ne vous oblige à être champion du monde, mais vous pouvez bouger tout simplement, ce qui est extrêmement important. Et si votre asthme limite votre activité, il faut qu’on s’occupe de votre traitement. Je pense que c’est un message important: il ne faut pas se sentir limité à cause de son asthme. Et si tu ne peux pas te prendre en charge tout seul, fais-toi aider.

Mme Christèle Gautier: Il ne faut pas avoir peur de communiquer. Il y a un message que l’on peut faire passer aux enfants: tu as le droit d’avoir des besoins particuliers. Le copain ou la copine d’à côté n’a pas les mêmes besoins particuliers que toi, il ou elle en a aussi. Faire attention à leurs besoins particuliers, c’est faire attention à leur santé physique.

C’est le même mécanisme, la même prise de conscience qui dirige l’appréhension de l’écologie: en quoi prendre soin de la nature, du vivant autour de nous, est un choix déterminant pour la vie, la sienne et celle des autres.

GPFD: Quels sont les sports autorisés et ceux qui ne le sont pas? Il me vient naturellement une phrase que je dirais à un adolescent: “Le meilleur sport est celui que tu préfères“. Partagez-vous?

Pr. Louis-Jean Couderc: Ça a un sens, bien sûr. Pour ma part, je dirais que notre rôle, en tant que médecin, est d’équiper le jeune pour qu’il puisse faire le sport qu’il veut. De même qu’il va s’équiper en matériel pour son sport, de même nous devons l’équiper sur le plan respiratoire pour qu’il puisse faire ce qu’il a envie de faire, dans de bonnes conditions de sécurité. Cela nécessite tout de même un peu d’éducation. Faire du sport, aucun problème: il faut en faire. En premier lieu, il faut inciter l’adolescent à faire du sport. C’est un point qui mérite d’être souligné car, pour beaucoup de familles, aujourd’hui encore, l’asthmatique c’est Proust: il ne doit pas trop bouger, il lit, il écrit, c’est un intellectuel qui doit rester au calme. Il faut donc expliquer au jeune et à son entourage que son asthme ira mieux s’il fait du sport.

En second lieu, il faut que son asthme soit contrôlé. Enfin, il faut se pencher sur le sport qu’il veut pratiquer. Il y a des sports où la survenue d’une crise d’asthme est évidemment plus ennuyeuse qu’ailleurs.

Il y a des sports à haut risque, ceux, par exemple, qu’on pratique par grand froid, ou encore la plongée sous-marine. Ce n’est pas tout à fait le sport vers lequel on a envie de pousser l’adolescent asthmatique quand on est pneumologue. Dans ce cas, il faut reprendre les choses de base. Il n’y a pas de contre-indication à la plongée sous-marine quand on est asthmatique... sauf si l’asthme n’est pas contrôlé... sauf s’il y a eu des crises récentes... sauf si l’eau est très froide... Dans ces cas, il faut faire attention. Il faut donc être prudent et, encore une fois, donner des recommandations personnalisées, en respectant des règles de base: asthme contrôlé, fonction respiratoire normale, équipement correct, attention au froid.

Bref, l’asthmatique peut faire tous les sports qu’il veut, si on le prépare et on prend soin de lui.

Un autre sport où la survenue d’une crise d’asthme pourrait avoir des conséquences dramatiques, c’est l’alpinisme. On voit beaucoup de jeunes, l’été, faire des via ferrata, en pleine chaleur, sans s’hydrater.

Donc, oui pour le sport, oui pour tous les sports, mais certains nécessitent une prudence et un équipement afin de minimiser le risque de survenue d’une crise d’asthme.

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